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  • Marie-Anne Gairaud

Ils descendent à la Goutte-d’Or pour écouter les problèmes des gens

Une fois par mois, des psychologues et thérapeutes proposent aux passants, dans la rue, des consultations gratuites dans ce quartier populaire du XVIIIe, à Paris.


« MARLBORO ! Marlboro ! » À Barbès (Paris, XVIIIe) en ce samedi après-midi, les vendeurs à la sauvette, marabouts et trafiquants de tabac sont légion sur le boulevard, et les passants doivent slalomer pour les éviter. Mais un peu plus haut, rue des Poissonniers, en plein quartier de la Goutte-d’Or, les « Marlboro » laissent place à un « Bonjour ! Vous allez bien ? » ou un « Depuis combien de temps on ne vous a pas écoutés ? » Brigitte, Séverine et Alix, un grand sourire sur le visage, alpaguent les promeneurs et les invitent à la discussion. Ces coachs, thérapeutes ou encore psychologues se rebaptisent le temps d’un après-midi « écouteurs de rue ». Leur objectif affiché : prendre le temps d’aller à la rencontre de personnes qui n’ont pas les moyens d’aller consulter dans un cabinet.


L'idée, c'est de rendre la santé mentale accessible !

« Vous avez un moment pour parler ? »

Ici, pas de divan sur lequel s’allonger mais des chaises déployées en pleine rue, sur le trottoir, au vu de tout le monde, placées face à face pour tendre l’oreille aux problèmes des personnes qui acceptent de s’arrêter et d’engager la conversation. « L’idée, c’est de rendre la santé mentale accessible », résume Séverine Bourguignon, la fondatrice de l’association.

Sur le grillage de la friche nichée à l’angle des rues des Poissonniers et Polonceau, une bâche et des affiches signalent le dispositif aux passants. Certains curieux s’arrêtent pour les lire. « Vous avez un moment pour parler ? » lâche Brigitte à un retraité qui lit une des pancartes. « Non, non, je me demandais juste à quoi servaient ces chaises », répond le monsieur avant de poursuivre son chemin. D’autres baissent la tête et remontent la rue comme si de rien n’était. Et puis, parfois, certains se laissent prendre par le visage bienveillant de Béatrice, une ex-coach en entreprise à la retraite. Comme cette femme, chargée comme une mule de deux gros sacs de courses. Son visage est plutôt jovial, mais après s’être assise, derrière son sourire, elle évoque durant une bonne vingtaine de minutes les lourds problèmes auxquels elle est confrontée.


Violences subies, problème administratif, discriminations... « Elle s’inquiète beaucoup pour sa mère. Elle m’a dit beaucoup prier pour elle parce qu’elle est mariée à un homme violent. Elle était très joyeuse quand je l’ai abordée et puis, au fil de la discussion, elle m’a avoué qu’elle avait été abusée par son beau-père qui l’avait mise à la porte. Elle vit en foyer, cherche un travail et venait de faire des courses pour sa mère », raconte Béatrice. « On ne leur apporte pas toujours de solution, mais le seul fait d’être écouté par quelq u ’ u n , c ’e s t é n o r m e ! » observe-t-elle. Pendant ce temps, deux jeunes hommes se sont assis face à Alix. Dans un français approximatif, l’un d’eux explique que son ami afghan se désespère de ne pas être régularisé. « Ça fait quatre mois que j’attends », soupire en anglais le jeune homme qui refusait de parler au début de la conversation. Alix finit par leur donner l’adresse d’une association qui pourra — peut-être — l’aider à trouver un emploi. « Vous cherchez quelque chose ? » lâche une bénévole, en apercevant une jeune femme qui semble un peu perdue. « Oui : vous pourriez m’indiquer un musée ? » demande-t-elle, avant, finalement, de prendre une chaise et d’évoquer ses problèmes.

« Ça fait du bien »

« Chaque personne écoutée repart avec un poids en moins. Même si on ne peut pas toujours leur apporter d’aide immédiate, elles sont soulagées. Un sourire, un échange, ça fait du bien ! » insiste Alix, la psychopraticienne qui officie d’ordinaire dans la banlieue de Versailles (Yvelines). « Je passais par là par hasard, j’étais un peu pressé. Je ne sais même pas pourquoi je me suis arrêté », avoue Mounir, 34 ans. Mais le temps de quelques minutes, il aura pu évoquer les discriminations qu’il a ressenties au travail. Des jeunes de son quartier sont mal perçus par certains. « C’est toujours bien de discuter avec les gens, on confronte nos expériences, ça fait du b i e n . O n s e c o m p r e n d mieux », lâche cet habitant de la Goutte-d’Or, qui, pourquoi pas, repassera par là le mois prochain. Le dispositif mis en place depuis 2019 à Paris commence à essaimer en province puisque des écouteurs viennent de mettre en place des séances à Rennes et à Nantes. Et pour étendre leur réseau et leur public, les écouteurs de rue parisiens envisagent désormais d’installer prochainement leurs chaises aux Halles (Ier).


Marie-Anne Gairaud

Parution du Parisien du 20/03/2022

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